Je suis de retour, j’ai profité de ce mois de pause pour réfléchir à ma vie, à mon travail, à mes relations, à mes projets, j’ai pu accorder du temps à tous mes amis, à ma famille, à mes collègues et j’ai beaucoup dormi aussi, j’avais deux mois d’insomnies à rattraper, merci le mémoire !
Je vais m’accorder plus souvent de vraies pauses, je me suis rendue compte que j’en avais besoin pour continuer sereinement cette activité. Et là certaines personnes me diraient « Pourquoi des pauses ? Ça va c’est pas compliqué/fatigant ton boulot, tu as juste à écarter les cuisses, moi aussi je peux le faire hein ! ». Face à ce genre de réflexion, mon idée première serait de mettre un grand coup de pelle, cependant ce n’est pas légal et ce n’est pas terrible pour ouvrir un dialogue serein, vous en conviendrez.
J’ai déjà entendu ce type de réflexion (sans la référence à l’écartement des cuisses hein!) par rapport à d’autres métiers comme les métiers du soin ou de l’enseignement et cela me met assez en colère car c’est ignorer la partie « gestion de l’humain et de ses émotions » qu’implique chaque métier où on est en contact avec un public. Alors oui, certaines personnes sont très douées pour se concentrer uniquement sur l’aspect technique de leur travail en fournissant une écoute sans s’impliquer émotionnellement. « Se blinder » fait parti des techniques de protection face à l’autre humain en face de nous. Je ne dis pas que c’est mal, attention, chacun fait comme il peut, avec ses moyens et cela permet de tenir face à des situations douloureuses, compliquées, violentes… Mais voilà, je n’ai jamais été capable de faire cela, je suis une véritable éponge à émotions.
Quand j’ai eu mon diplôme d’infirmière, mon premier poste fut en gériatrie, j’étais ravie car j’adore les personnes âgées ! Seulement voilà, j’étais dans un service dur, avec notamment des personnes en fin de vie : je devais gérer les angoisses des patients face à la mort, les angoisses de leurs familles, les décès et les proches en pleurs. Autant vous dire qu’au bout de quelques semaines j’avais abandonné l’idée de me maquiller mais j’ai surtout rapidement compris que le fait de pleurer était vu comme non-professionnel. Une fois, je me suis même attiré les foudres d’un médecin qui m’avait vu les larmes aux yeux dans le couloir suite au décès d’une patiente que j’appréciais. J’ai fini par craquer et démissionner. Ce n’était pas lié à l’accompagnement dans des situations difficiles mais plutôt au manque de moyens humaines et à la pression exercée sur nous pour faire du chiffre (clinique rachetée par un grand groupe, pas besoin d’en dire beaucoup plus). J’étais en train de me détruire, j’avais perdu 10 kg, je faisais des insomnies et je me blâmais de ne pas être assez « professionnelle ». J’ai compris ensuite que ce n’était pas moi le problème mais le système qui laisse de moins en moins la place à l’humain et nous pousse à devenir des robots afin d’accomplir le plus de tâches possibles en peu de temps (les émotions ne sont pas compatibles avec la rentabilité, vous comprenez). J’ai fait la paix avec ça. Je suis heureuse d’avoir pu tenir la main de mes patients, de leur avoir apporté une présence humaine dans ce moment et je ne regrette pas de ne pas avoir été assez « blindée ».
Pourquoi je vous raconte cela ?
C’est simple : si certaines personnes contactent une escort dans le seul but d’avoir une prestation sexuelle puis au revoir, pour d’autres la relation sexuelle n’est pas ce qui est le plus important, c’est presque une « excuse » pour avoir une attention, une épaule sur laquelle se reposer. Il m’est évidemment arrivé de rencontrer ces personnes « baise puis au revoir » mais je me suis rendu compte que ce n’était vraiment pas ce qui m’intéressait. Alors oui, ça fait de l’argent à la fin de la journée mais d’un point de vue humain je ne voyais vraiment pas ce que cela m’apportait. Je préfère les personnes qui viennent me raconter leurs vies, leurs joies, leurs réussites, leurs problèmes, leurs douleurs, leurs parcours difficiles…je veux de l’humain ! N’ayez jamais aucune honte à me confier tout cela, ne vous excusez pas de pleurer ou de ne pas arriver à bander car vous avez trop de problèmes. Bien souvent les hommes sont éduqués à ne pas pleurer, à ne pas laisser sortir leurs émotions, à avoir le contrôle tout le temps et sur tout… Seulement, je préfère mille fois un homme qui va accepter de laisser tomber ce masque plutôt qu’un homme qui va vouloir « prouver sa virilité » en me montrant la taille de son pénis ou en me faisant faire 3 fois le Kamasutra (bien souvent d’ailleurs sans se soucier de mon propre plaisir). Je suis parfois la seule personne à qui vous pouvez montrer cet « autre visage » sans crainte d’être jugé et j’accepte totalement ce rôle de confidente.
C’est ma façon de fonctionner et je sais que certaines collègues préfèrent se blinder, c’est normal car ce métier touche aussi à l’intime et ça peut être très compliqué de faire ce travail sans ce moyen de protection. Il ne faut pas juger trop rapidement une personne si sa façon de faire n’est pas celle qui vous convient. Vous ne savez pas quelle est sa vie, quel rapport elle entretient avec ce travail et il faut aussi garder en tête que sa façon de travailler convient très bien à certains prétendants (on pourrait dire la même chose avec moi : ma façon de faire ne convient pas aux hommes qui veulent juste une « baise et au revoir » ni à ceux qui veulent me montrer leur étude approfondie du Kamasutra et de YouPorn). Nous, les escorts, devons aussi gérer nos propres émotions : ce n’est pas toujours évident d’être aussi intime avec un parfait inconnu. Cela peut demander beaucoup d’énergie de gérer la peur, la douleur (que ce soit quand la personne nous fait prendre des positions de contorsionniste de cirque ou ne fait absolument pas attention à nos envies), la fatigue de devoir recadrer une personne qui négocie ou nous fait mal, les propos racistes, sexistes et j’en passe. Je parle ici des RDV mais dites vous que le « secrétariat » n’est pas non plus de tout repos : les insultes, les menaces, les photos de pénis non désirées, le harcèlement, les négociateurs, les fantasmeurs, les personnes irrespectueuses, ceux qui ne font pas l’effort de lire les dix lignes de l’annonce, ceux qui viennent demander du gratuit… Tout cela est fatigant au final et peut impacter notre bien-être (certaines collègues reçoivent des centaines de SMS de ce style chaque semaine, vous comprendrez qu‘il est facile de perdre foi en l’humanité face à ça).
J’écris, j’écris mais je m’éparpille (il faut que je sois plus régulière dans mes post de blog, ça vous évitera des romans à chaque fois que j’ai envie de vous parler).
Ce que je veux vous faire comprendre c’est que c’est un travail qui peut être très impliquant car les émotions rentrent en jeu (les vôtres et les miennes), surtout quand on est une éponge à émotions. Je me suis rendue compte que j’avais besoin de faire de vraies pauses afin de me recentrer sur moi, de me changer les idées, de voir mes amis, ma famille, histoire de repartir un peu moins chargée et donc bien plus à l’écoute. C’est aussi pour cela que j’ai enlevé le numéro des mes annonces : parfois j’étais déjà en colère ou déprimée par la bêtise humaine avant midi, j’avais juste envie de me rouler en boule dans un plaid et de ne plus répondre à personne ! Ce qui est dommage car je passais à coté de belles personnes.
Conclusion (oui, enfin !) :
J’aime beaucoup ce métier et je veux pouvoir le continuer aussi longtemps que possible (enfin, j’arrêterai peut-être quand on me mettra dans une maison de retraite mais j’espère que vous viendrez quand même m’apporter des chocolats et du vin, surtout du vin). Je pense que vous comprendrez qu’il est nécessaire pour moi de mettre en place ce système de pause et que vous ne m’en voudrez pas si je ne réponds pas pendant un moment.
Je vous embrasse
PS : je vais essayer de répondre à vos mails cette semaine et je rallumerai mon téléphone demain ou mercredi.