« Oui, mais y’a plein de gens qui s’épanouissent avec ces normes »
Oui, tout à fait, les normes ou les croyances ne font pas forcément souffrir. Et il y a des gens qui, même s’ils ne s’épanouissent pas à 100%, ne vont pas trouver ça grave. C’est comme quand le Titanic a coulé : tout le monde n’a pas fini en Mister Freeze et il y a sûrement eu 2-3 bretons qui, tombés à l’eau, ont dû dire aux autres « Nan mais franchement ça va ! Une fois que t’es dedans elle est bonne ! ».
Cependant, si on regarde de plus près, on est loin, très loin de l’épanouissement général. Déjà, rien que dans mon expérience de TDS et de sexothérapeute, je peux vous assurer que ce qui vous semble parfait chez votre voisin, votre collègue ou votre cousine Nadine n’est pas si incroyable quand on se donne la peine d’aller gratter un peu le vernis. Vu qu’on aime bien les chiffres, je vous conseille d’aller regarder un peu les études sur la sexualité, vous verrez que ce n’est pas du tout une grande réussite (surtout dans l’hétérosexualité, on va pas se mentir).
Note : au passage, toutes les études du style « Le sperme est bon pour la santé », « Il faudrait faire l’amour X fois par semaine pour être en forme/gagner X années d’espérance de vie », « La durée idéale d’un rapport c’est Y », etc. c’est à mettre au bûcher (chaque fois que j’écris « au bûcher » j’ai Elie Semoun dans Kaamelott qui apparait dans mon cerveau, faut vraiment que j’arrête de trop trainer avec des fans de cette série !)
Pourquoi en sommes-nous arrivés là ?
Les troubles et les insatisfactions sexuels sont souvent multifactoriels et les causes peuvent même joyeusement s’alimenter les unes les autres (exemple : une panne érectile peut avoir engendré une peur des rapports sexuels qui entraine à son tour des problèmes relationnels dans le couple qui eux-mêmes peuvent impacter l’érection, le désir, le plaisir, etc.). Il y a plein de livres traitant de ce sujet*, je n’avais donc pas envie de détailler tout ce qui peut nous pousser à déserter nos lits mais plutôt de parler de quelques croyances/normes que nous retrouvons fréquemment et qui ont pu impacter ma vie intime (et peut-être la vôtre).
Définition de ce qu’est un acte sexuel
Comme pas mal de gens, je suis partie dès le début de ma vie sexuelle avec l’idée qu’un acte sexuel réussit devait obligatoirement respecter un script et cocher la case « pénétration ». Au départ, c’est plutôt rassurant d’ailleurs, on nous file un mode d’emploi à suivre tout en nous assurant que cela va marcher à tous les coups si on respecte certains paramètres. Ce script est donc en 3 actes, une sorte de Sainte Trinité-du-Cul :
Acte 1 : les préliminaires
Acte 2 : la pénétration (vaginale avec un pénis, à la limite anale avec un pénis mais sinon, le reste est dans la catégorie « préliminaires »)
Acte 3 : l’orgasme (Note : Si l’orgasme arrive lors d’un acte considéré comme un préliminaire, alors cela n’est pas « faire l’amour » mais « faire des préliminaires »)
Ça semblait assez simple vu comme ça. Alors qu’est-ce qui ne roulait pas chez moi pour foirer le précieux Acte 3 ? Enfin « foirer », par vraiment car j’étais quand même contente : mes partenaires jouissaient, c’était donc pas si foiré que ça…
Il n’y a aucun mal à adorer la pénétration et/ou adorer cette Sainte Trinité-du-cul, cependant tout le monde n’est pas dans ce cas. Tous les êtres humains ne fonctionnent pas de la même manière et un même être humain pourra se retrouver face à tout un tas de changements tout au long de sa vie. Le souci dans l’idée d’avoir des normes est que nous accédons difficilement à d’autres manières de faire quand cela ne nous convient pas pour X raisons. Aujourd’hui grâce à Internet il est plus facile de trouver d’autres pistes d’épanouissement mais même dans ces cas-là, on peut éprouver des difficultés dans nos relations par peur d’être moqué, vu comme bizarre ou défectueux, etc.
Par exemple, les personnes aimant certaines pratiques BDSM ou fetish peuvent se retrouver contraintes de taire cette partie d’elles-même si elles sentent que leur partenaire ne sera pas ouvert à ça. On se retrouve donc parfois avec des gens qui passent une grande partie de leur vie, voire même leur vie entière à pratiquer des actes qui ne les épanouissent pas.
L’homme doit être performant, son pénis est responsable du plaisir et de l’orgasme de la femme
La pénétration étant vue comme le passage obligé, l’acte qui permet de jouir de la meilleure manière, l’homme se retrouve affublé d’un rôle très important. En plus de devoir être grand, fort, costaud, quand arrive la sexualité, on apprend aussi qu’un homme est aussi défini par son pénis et son érection car c’est grâce à ça qu’il pourra faire jouir sa partenaire. Partant de là, il n’est pas surprenant que notre sexualité tourne beaucoup autour des problématiques péniennes.
A l’époque où j’avais encore mon numéro de téléphone affiché sur mon annonce/site, je recevais régulièrement des photos de pénis. Outre le fait de vouloir « choquer » ou le plaisir de l’exhibitionnisme, la photo d’un pénis qui bande suffirait à elle seule à savoir si le propriétaire de l’engin est un « bon coup ». Un pénis long, gros, bien dur serait le signe d’une partie de jambe en l’air mémorable, alors qu’un pénis petit, fin, un peu mou, serait le signe d’une catastrophe sexuelle.
Comme vu précédemment, nous sommes entourés dès notre plus jeune âge de représentations, de stéréotypes qui peuvent grandement impacter nos vies. Si vous avez déjà fait l’expérience d’aller sur des sites pornos classiques (Point militant : je comprends la praticité de ce genre de site mais ils font leur CA sur l’exploitation des TDS donc allez sur des sites plus éthiques et payez votre porn, merci), vous avez dû remarquer toutes ces pubs qui s’ouvrent frénétiquement. Si certaines vous proposent de rencontrer les meufs les plus chaudes de votre région, la plupart se concentrent sur un sujet : le pénis. « Agrandissez votre pénis » « Grossissez votre pénis » « Ce médicament vous fera durer toute la nuit », le tout accompagné de photos/dessins d’une grande qualité artistique. Et dans les pornos, tous les mecs sont super bien gaulés, ils arrivent à bander des heures et grâce à leur magnifique engin ils font jouir toutes les femmes.
Comment alors, ne pas être tenté par la comparaison ? A l’image des femmes qu’on martèle depuis leur tendre enfance, de couvertures de magazines et des pubs indiquant comment être une « vraie femme » (féminine, mince…), il est logique de se sentir comme une merde face à ces normes quasi inatteignables. Si apparemment, le fait d’avoir un pénis de cheval et l’endurance d’un marathonien sous coke est nécessaire à l’épanouissement sexuel, comment ne pas se dire que sa vie est foutue car notre engin ne mesure « que » 13cm et qu’on a besoin de Ventoline après 3 jump-squat ? Comment ne pas douter de soi quand on est confronté à notre premier trouble de l’érection ou à notre première éjaculation « trop rapide » ?
Je n’ai pas de pénis certes, mais il n’empêche que cette idée de l’homme responsable du plaisir m’a quand même bien gâché la vie !
Côté personnel, je ne compte plus les fois où des mecs qui n’arrivaient pas à bander ont presque sorti le Power Point et les numéros de téléphone de leurs ex pour m’expliquer par A+B, témoignages à l’appui, que c’était la première fois/rare/qu’ils devaient juste être fatigués, coupant toute possibilité de poursuivre notre étreinte d’une autre manière. Dans les cas extrêmes, j’ai aussi eu droit aux amants qui partaient en courant ou ne donnaient plus signe de vie parce qu’ils pensaient « ne pas être à la hauteur » sexuellement. Et vu que je peux être un véritable cœur d’artichaut, je finissais souvent le cœur en miettes, roulée en boule sous un plaid, pleurant à chaudes larmes. Tout ça pour une bête histoire de performances péniennes…
Côté TDS ce fut un peu moins dramatique pour mon petit cœur sensible mais entre ceux qui n’osaient pas me rencontrer de peur de ne pas pouvoir me satisfaire à cause de leur taille/endurance/performance/etc. et ceux qui n’osaient pas me dire que la pénétration n’était pas leur truc de peur que je sois frustrée/déçue/etc. (et donc qui se forçaient à le faire pour me faire plaisir), j’ai quand même été souvent assez attristée !
Chez la femme, l’orgasme vaginal est le Graal
Comme je l’ai dit précédemment, j’avais découvert l’orgasme avec la masturbation. On m’avait bien dit, pourtant, que celui qui comptait vraiment, celui qu’il fallait atteindre, était celui procuré par la pénétration. Apparemment, il suffisait du frottement du pénis et pouf ! du feu un orgasme vaginal ! D’où vient donc cette lubie ? De Freud qui soutenait que l’orgasme clitoridien était réservé aux « enfants » mais qu’après la puberté, dans le cadre de rapports hétérosexuels (évidemment), l’orgasme se transférait au vagin (en résumé : une vraie femme doit avoir des orgasmes uniquement grâce au sacro-saint pénis, si elle doit se toucher pour arriver à l’orgasme c’est mal) ? De la religion ? Des francs maçons (ils seraient impliqués partout, donc pourquoi pas dans notre vie sexuelle ?) ?
Toujours est-il qu’on se retrouve avec l’idée qu’il y aurait un orgasme supérieur à un autre ou au moins 2 orgasmes différents et qu’il est de bon ton d’avoir accès aux deux.
En réfléchissant à ça, j’ai réalisé que cela faisait un moment que je n’avais plus eu droit à cette fameuse question : « Plutôt clitoridienne ou vaginale ? ». Tant mieux, mais alors, qu’est-ce que j’ai pu en bouffer de cette fausse énigme. Je ne savais jamais quoi répondre car je ne comprenais pas la définition exacte de ces 2 orgasmes. Quand je posais la question de la différence à mes interlocuteurs, je n’avais jamais la même réponse : c’était parfois lié au fait qu’on ait un orgasme juste avec le pénis, parfois avec un ratio pénis/masturbation particulier, parfois on comptait comme « vaginale » une femme qui avait un orgasme grâce à un cunni et des doigts mais parfois non, etc. Et les débats qui suivaient n’étaient jamais décevants : certains hommes savaient comment me faire passer de clitoridienne à vaginale, comment me faire atteindre le St Graal grâce à telle position ou à telle durée de « préliminaire », d’autres tentaient carrément de m’analyser pour comprendre ce qui clochait chez moi pour ne pas être passée au fameux stade « adulte » de l’orgasme vaginal ( « Huummmm je pense que le fait de vendre votre corps vous empêche d’accéder pleinement à la jouissance mais grâce à mon expérience en Tantra je saurai… » Ta gueule Jean-Claude, vraiment ta gueule) . De grands moments ! (Non, sincèrement, retirez ce sujet de conversation de votre répertoire si vous voulez une relation sympa avec moi)**
Avec tout ça, il est normal que j’étais à moitié contente de ma vie sexuelle : oui, c’était sympa d’avoir parfois des orgasmes, mais j’avais toujours l’impression d’être bizarre, de ne pas savoir ce qu’était réellement l’épanouissement sexuel. Il fallait que je me rende à l’évidence : je devais avoir un défaut de fabrication…
*Petite biblio au passage, sur ce sujet il y a évidemment le Best-seller Je jouis comme je suis d »Emily Nagoski mais aussi Jouir de Sarah Barmak ou Sortir du trou, lever la tête de Maia Mazaurette et plein d’autres (n’hésitez pas si vous voulez des conseils lecture)
**Sur ce sujet vous trouverez plusieurs sons de cloche. Pour beaucoup, le fameux point G n’est rien d’autre que l’arrière du clitoris donc l’orgasme vaginal serait en fait un orgasme clitoridien mais obtenu avec une stimulation différente. Vous trouverez donc pas mal d’articles sur le fait qu’il n’y a pas de personnes vaginales, simplement des personnes clitoridiennes. Cependant, pour d’autres personnes, en plus de ces zones clitoridiennes internes et externes, il y aurait d’autres zones de sensibilité dans le vagin qui permettraient d’accéder à l’orgasme sans stimulation du clitoris (passionnante étude ICI que j’ai découvert grâce à Yasmin Boudjema, sexothérapeute). Je pense que le plus important à retenir de ça est simplement que les corps sont différents et que plutôt que de vouloir absolument stéréotyper nos plaisirs et nos orgasmes il serait plus intéressant de s’émerveiller devant toutes les possibilités que cette diversité nous offre !